LE LIVRE DU MOIS : septembre 2012 |
Les éditions Non Lieu, 2012
> Ivo Andrić <
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Ivo Andrić LA NAISSANCE DU FASCISME Traduit par Alain Cappon Présentation de l'éditeur : Les éditions Non Lieu Andrić est âgé de 28 ans lorsque, en 1920, il est nommé à l’ambassade du royaume des Serbes, des Croates et Slovènes auprès du Vatican. Cette nomination lui permettra de vivre de l’intérieur l’atmosphère insurrectionnelle et le chaos qui règnent en Italie, puis la montée inexorable et violente de la réaction. Ce dont il rend parfaitement compte dans La révolution fasciste qui paraît à Zagreb dès 1923. Deux séjours ultérieurs en Italie le conforteront dans son appréhension du fascisme. Même éloigné de la péninsule italienne, il suivra pas à pas les développements de la dictature mussolinienne et de ses épigones (notamment bulgares), les présentant au public par voie de presse entre décembre 1923 et mai 1926. À la lecture de ces neuf textes, tous inédits en français, nous sommes frappés par la finesse et la justesse de l’analyse proposée par Ivo Andrić. Quoique contemporains de la montée du fascisme, ces écrits semblent aujourd’hui nettement postérieurs, comme rédigés par un historien qui aurait bénéficié d’un net recul dans le temps pour se pencher sur l’avènement de ce monstre que fut le fascisme. |
Présentation de Alain Cappon Mon propos est de présenter, non une biographie succincte du seul – à ce jour – prix Nobel de littérature de langue serbo-croate, mais un aperçu de ses années « formatrices », du temps du lycée au milieu des années 1920. Né en 1892, orphelin de père dès l’âge de 2 ans, élevé par sa tante à Višegrad, Ivo Andrić rejoint sa mère à Sarajevo en 1902. Au Grand Lycée, l’école secondaire la plus ancienne de Bosnie-Herzégovine, il côtoie la jeunesse nationaliste du mouvement Mlada Bosna (Jeune Bosnie) qui prône l’union avec la Serbie, surtout après l’annexion de la Bosnie par l’Autriche-Hongrie en 1908. Cet activisme politique ne l’empêche toutefois pas de faire ses premiers pas dans l’écriture : traductions du slovène et de l’anglais, recensions pour différentes revues, publication de son premier poème en prose U sumrak (Au crépuscule) en 1911. L’aspiration à la réunion des Slaves du Sud dans un même État ne faiblit pas chez le jeune Ivo Andrić étudiant successivement à Zagreb, Vienne, puis Cracovie. De retour à Split, il est arrêté par la police au lendemain de l’attentat de Sarajevo et incarcéré. De cette expérience Andrić tirera son magnifique Ex-ponto à propos duquel Miloš Crnjanski écrira : « Une chose est indiscutable à propos de ce livre : Andrić est arrivé », la seconde partie de la phrase étant dans l’original rédigée en français. Le 1er janvier 1918 paraît le premier numéro de Književni jug (Le Sud littéraire), un magazine d’orientation yougoslave dont Ivo Andrić est l’un des rédacteurs. En octobre 1918 il entre à la Section pour l’organisation et l’agitation du Conseil national des Slovènes, Croates, et Serbes à Zagreb. Avec la constitution du Royaume des Serbes, Croates, et Slovènes, Andrić s’installe à Belgrade et intègre le ministère des Cultes en tant que secrétaire de 3ième classe. Dès lors il mène de front deux carrières : l’une, pour laquelle on le connaît mieux, littéraire, l’autre, de petit et obscur fonctionnaire gravissant peu à peu tous les échelons de la diplomatie. Le 16 février 1920 il est ainsi affecté à l’ambassade du royaume S. C. S. auprès du Vatican jusqu’à ce qu’une nouvelle nomination le conduise au consulat général de Bucarest le 1er octobre 1921. De nouvelles affectations et promotions suivront : Trieste en novembre 1922, Graz en 1923 où il soutiendra sa thèse de doctorat, Madrid en 1928, Bruxelles en 1929 comme secrétaire d’ambassade, Genève comme secrétaire de la délégation permanente du royaume de Yougoslavie auprès de la Société des Nations. En 1937, il accède aux fonctions d’adjoint du ministre des Affaires étrangères, et le 1er avril 1939 il est nommé ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à Berlin où il demeurera en poste jusqu’à l’agression nazie contre la Yougoslavie le 6 avril 1941. De la carrière littéraire d’Ivo Andrić je ne retiendrai ici qu’un seul aspect que je crois assez méconnu du public français et francophone. Si l’on a loué – et à juste titre – le conteur merveilleux que révèlent les romans et nouvelles du temps de la maturité, une autre facette du talent de l’écrivain vaut d’être révélé au lecteur : l’analyse politique. Andrić est âgé de 28 ans lorsqu’il est affecté à l’ambassade du royaume des S. C. S. auprès du Vatican. Cette nomination qui intervient en 1920 va lui permettre de vivre de l’intérieur, en témoin « privilégié », l’atmosphère insurrectionnelle et l’anarchie qui règnent dans le pays, puis la montée inexorable et violente de la réaction. Ce dont il rend parfaitement compte dans La Révolution fasciste qui paraît à Zagreb dès 1923. Deux séjours ultérieurs en Italie le conforteront dans son appréhension (dans les deux sens du terme, perception et crainte) du fascisme, et ses affectations à des postes plus ou moins éloignés de la péninsule italienne ne l’empêcheront pas de suivre pas à pas l’extension, l’expansion de la dictature mussolinienne et à nouveau de les présenter au public dans six textes (dont certains signés du pseudonyme « Res ») qui paraîtront entre décembre 1923 et mai 1926, le dernier délaissant l’Italie du Duce pour la Bulgarie qui, alors, paraît s’engager lentement mais sûrement sur une voie qui non officiellement proclamée fasciste y ressemble à maints égards. À la lecture de ces textes, le lecteur est frappé par la finesse et la justesse de l’analyse proposée par Ivo Andrić. Quoique contemporains de la montée du fascisme, ces écrits semblent aujourd’hui nettement postérieurs, comme rédigés par un historien qui aurait bénéficié d’un net recul dans le temps pour se pencher sur l’avènement de ce monstre que fut le fascisme. Tout est là, et dès le début des années 1920, sous la plume d’Andrić : la lecture sans failles de ce dont s’accompagne et s’accompagnera la montée en puissance inexorable du fascisme (Le Cas Matteoti, août 1924 ; La Crise du Fascisme, crise de l’Italie, février 1925 ; La Situation en Italie, juillet 1925 ; Giovanni Amendola, juillet 1926), la perception intuitive mais hélas exacte de la personnalité véritable du nouveau maître de l’Italie (Benito Mussolini, décembre 1923), la similitude pointée du doigt entre méthodes fascistes et bolcheviques. Avec une grande précocité encore, il nous livre dès le milieu de la même décennie une vision pessimiste mais ô combien prémonitoire de l’avenir : le choc frontal qui interviendra nécessairement entre fascisme et démocratie, l’évolution de la situation en Italie et en Bulgarie (Les Événements de Bulgarie, mai 1926) ne pouvant laisser présager que la guerre. Complètent le présent recueil deux textes légèrement antérieurs puisque datés de 1921 et 1922 Le Dernier Roman de F.F. Marinetti et Un Livre de guerre de Gabriele d’Annunzio. Ils sont en quelque sorte le contrepoint des écrits plus politiques présentés ici et illustrent l’autre domaine d’activité du Ivo Andrić trentenaire : la critique littéraire qu’il mène en parallèle avec ses propres essais de création via la composition de poèmes et la rédaction de nouvelles qui, les quelques années suivantes, assoiront sa stature de futur grand écrivain. Mais c’est déjà là un autre débat…
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